Portrait de Franck Zal, Docteur en biologie marine et Fondateur d’Hemarina

Placeholder


Quel est votre parcours? 

J’ai un parcours atypique. J’ai toujours été passionné par la biologie marine, sous l’influence du Commandant Cousteau. J’ai commencé à m’intéresser aux vers marins pendant mes études à la station biologique de Roscoff rattachée à Sorbonne Université. J’ai poursuivi avec un Doctorat, puis un Post-Doctorat de trois ans à l’étranger, deux à Santa Barbara en Californie et un an à Anvers en Belgique. Et en 1999, je suis devenu chercheur au CNRS. 

Ce qui m’attirait chez les vers marins, c’est qu’ils sont les premiers organismes à avoir quitté l’océan pour aller coloniser la terre. Je les observais sur les plages du Finistère et je me demandais comment ils pouvaient respirer entre les marées hautes et les marées basses. Tout est parti de cette question basique. 

Dans le corps humain, ce sont nos globules rouges qui transportent l’oxygène. J’ai donc étudié l’hémoglobine des vers arénicoles – le nom scientifique des vers de vase – et j’ai découvert que sa structure est similaire à l’hémoglobine humaine. C’était comme découvrir l’ancêtre des globules rouges humains. A une différence de taille : l’hémoglobine des vers arénicoles est extra-cellulaire – elle n’est pas encapsulée dans un globule rouge -, elle est donc universelle et peut transporter 40 fois plus d’oxygène. 

 

Pourquoi avoir fondé Hemarina ? 

Je me suis demandé quelles pouvaient être les applications thérapeutiques de cette découverte. J’ai publié plusieurs articles dans les grandes revues scientifiques, cela faisait évoluer les connaissances certes, mais je trouvais ça restreint et je ressentais une frustration de plus en plus grande. Je voulais que mes recherches servent la société. 

Au début des années 2000, il y avait véritablement deux mondes cloisonnés, le monde académique de la recherche publique et le monde du privé. J’ai donc choisi de démissionner du CNRS et de créer ma boîte, Hemarina. J’avais une idée, mais pas de vers, pas de labo et je voulais sauver le monde. Il m’a fallu 8 ans !

Je ne connaissais rien au monde de l’entrepreneuriat mais j’ai eu la chance d’arriver en 2007, au moment de la loi TEPA (qui ouvrait droit à des réductions d’ISF en cas d’investissement dans des PME). C’est ainsi que les premiers business angels sont entrés au capital de la société. J’ai obtenu des subventions, j’ai gagné des prix et en 2012, j’ai suivi un MBA pour comprendre ce que je faisais au quotidien. J’ai tout appris, du business model à la levée de fonds, jusqu’à la construction de mon laboratoire. Je me suis aussi confronté à la réglementation et aux formulaires qui n’existaient pas encore. Il faut énormément de temps et de pédagogie pour avancer sur des innovations de rupture avec les agences réglementaires. 

Mais sans vers, pas de recherches!  Pendant mon post-doc, j’avais plongé dans les abysses à 4500 mètres dans des mini sous-marins américains, pour observer comment sans soleil, ces organismes se nourrissent de l’énergie de la terre. J’avais aussi plongé près de sources sous-marines au large des Galapogos. Mais pour ramener les vers de ces milieux extrêmes, je devais les congeler, et moi, je préfère le vivant. J’ai donc travaillé sur un autre ver plus accessible autour de Roscoff, Arenicola marina qui colonise l’estran. En 2013, j’ai donc racheté une ferme aquacole sur l’île de Noirmoutiers pour créer un élevage de vers marins. C’est une ferme unique au monde, la seule dont la production est dédiée à l’élaboration de produits de santé. Cette ferme a une capacité de production de 30 tonnes de vers marins par an afin d’en extraire l’hémoglobine. 

 

Hemarina, c’est quoi ? 

Au départ, c’est une première transfusion d’hémoglobine d’un invertébré à un vertébré, en l’occurrence une souris. J’ai publié un article dans Nature. Puis j’ai rencontré des chirurgiens intéressés pour la conservation des greffons lors des transplantations d’organes – un greffon sur deux est perdu. 

Revenons à notre ver marin sur la plage. A marée haute, il “respire”, c’est-à-dire qu’il absorbe l’oxygène dissous dans l’eau de mer. À marée basse, pendant 6 heures, il arrête de respirer. Il devient comme un organe sans oxygène. C’est l’ischémie reperfusion – séquence pathologique au cours de laquelle un organe subit l’arrêt puis la reprise de sa circulation sanguine – au centre de toutes les pathologies connues des vertébrés et des hommes. Le ver marin y a répondu au cours de son développement de 450 millions d’années. 

Les applications thérapeutiques sont multiples. Nous avons commencé avec le CHU de Poitiers pour les greffes de rein qui concernent 80% des transplantations. Les greffons transportés dans cette hémoglobine marine se conservent plus longtemps et repartent tout de suite lors de la transplantation. La survie à 4 ans du patient passe de 85 à 98% avec une suppression de certains immunosuppresseurs. Il y a une réelle différence sur la vie des patients. 

Nous avons poursuivi les essais pré-cliniques sur le foie, les poumons et le pancréas. Le temps de conservation des organes est augmenté. C’est une véritable révolution pour la préservation des greffons en attente de transplantation. 

Nous avons eu d’autres grands succès. Le professeur Lantieri, connu pour avoir effectué la première greffe de visage en 2010, a réussi un seconde greffe de face après un rejet massif d’un patient. La face greffée était conservée avec notre solution HEMO2life. Quand le professeur a “déclampé” – pour permettre la reprise de la circulation sanguine – le greffon de la face a tout de suite pris une teinte rosée et l’opération a été un succès. Lorsque le patient est venu nous remercier avec sa maman quelques mois plus tard à Roscoff, j’ai ressenti une émotion intense. En Inde, un homme gravement brûlé a également pu bénéficier d’une greffe des deux avant-bras avec succès. Aujourd’hui, il conduit, travaille et vit normalement. 

Nous avons obtenu des autorisations en Arabie Saoudite, et déposé des autorisations aux USA et je ne peux pas me résoudre à ce que ce ne soit pas massivement développé en France. 

 

Quelles sont les prochaines étapes pour Hemarina? 

Chez Hemarina, nous poussons un deuxième produit, un pansement qui accélère la vitesse de cicatrisation. Il faut savoir qu’en France, 700 000 personnes souffrent d’un problème de plaies. Nous avons obtenu une autorisation d’accès compassionnelle, mais ce n’est pas suffisant. Nous avons obtenu 95% de réussite sur 50 patients traités. Un homme avec des plaies aux jambes depuis 14 ans a cicatrisé en deux mois, son épiderme a repoussé. Que faut-il faire de plus? Mettons cette découverte au service des patients et des médecins en passant directement à une phase d’observation en routine. Retrouvons du pragmatisme! 

Aujourd’hui, je me sens utile à l’international mais coincé en France. En France, nous avons 400 000 normes contre 38 000 en Allemagne et je ne crois pas qu’on soit moins bien soigné là-bas et que les Allemands tuent plus de monde en voulant les soigner. A cause de cette réglementation obsolète, il est extrêmement difficile de porter des innovations de rupture. Il est urgent de réformer car on est bloqué à chaque étape. Après les autorisations de mise sur le marché, il y a le stade du remboursement où il faut refaire des études médico-économiques. Ce n’est jamais fini.

Il faut savoir qu’à chaque fois, un dossier c’est environ 40 000 pages. Qui a le temps de les lire? Bien sûr, la réglementation permet d’assurer la sécurité des patients, mais dans les innovations de rupture, il faut aussi faire confiance aux chercheurs. Il faut reprendre du pragmatisme, assurer un suivi et un contrôle mais laisser les thérapies qui marchent aux mains des médecins!

 

Comment vois-tu les réseaux comme La French Care ?

Dans mon parcours entrepreneurial, ils sont nombreux à m’avoir tendu la main et je pars du principe que quand on te donne quelque chose, tu le rends. C’est pourquoi je suis vice-président de Atlanpole Biothérapie, Président de Biotech Santé Bretagne et il y à quelques années j’ai été VP de France Biotech. Tous ces réseaux sont importants et tout le monde part du même constat, la complexité des normes. La norme doit être vus aussi comme un outil de souveraineté nationale pas simplement de blocage administratif, mais en France tout le système s’auto-bloque de peur d’être mis en responsabilité, donc on entretien l’immobilisme.

Des doutes, j’en ai eu et j’en ai encore. Je reste un iconoclaste qui ne rentre pas dans le système. Mais je suis aussi un éternel positiviste qui essaie de faire bouger les choses. Je n’ai jamais eu peur de l’échec et chaque vie sauvée me donne de l’énergie.